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DISCRIMINATION ET INTIMIDATION RACIALE À L'ÉCOLE - LE MINISTRE DE L'ÉDUCATION INTERPELLÉ PAR LES PARENTS POUR SON INACTION



Montréal, 23 novembre 2017 — Le ministre de l’Éducation du Québec doit assumer ses responsabilités afin d’aider les enfants et les adolescents qui sont victimes d’intimidation et de discrimination raciale en milieu scolaire. Il doit également cesser de faire l’oreille sourde à un problème qui semble prendre de l’ampleur.

Tel est l’appel lancé aujourd’hui par trois parents racisés qui ont brisé le silence pour interpeller personnellement le ministre Sébastien Proulx, dont l’inaction reflète, pour ces parents, l’immobilisme du Gouvernement du Québec en matière de lutte contre le racisme. Les parents de deux autres enfants noirs, qui fréquentent des écoles appartenant à deux autres commissions scolaires, n’ont pas pu être présents pour des raisons personnelles.

Les trois cas illustrent des problématiques et des réactions institutionnelles semblables :

❑  « Gabriel », 8 ans et d’origine africaine, fréquente une école de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Dès son inscription en septembre 2015, sa soeur, âgée de 11 ans et lui ont fait l’objet de nombreux propos racistes (« t’es sale comme tous les Africains ») et d’actes d’intimidation physique venant d’autres étudiants et de quelques membres du personnel, dont un chaffeur d’autobus scolaire. Constamment harcelé par d’autres jeunes, Gabriel réagit souvent aux agressions et devient lui-même blâmé par la direction. Plusieurs fois par mois, sa mère doit venir à l’école pour se plaindre et demander, sans succès, des comptes à la direction. Ayant peur pour son bien-être, elle retire son fils de l’école et choisit la scolarisation à domicile, avec l’aide d’une association spécialisée;

❑ « Emmanuel », 18 ans et d’origine haïtienne, fréquente une école de la Commission scolaires des Affluents. En mai dernier, lors d’une pause entre les classes, il donne une tape à la main à un autre jeune noir. Soupçonnant une « transaction illégale », la directrice adjointe force chaque jeune à subir séparément une fouille. Quand la fouille est devenue intrusive, Emmanuel, gêné d’être l’objet de fouille par une femme, refuse. Il est expulsé sur-le-champ. Il soumet une demande formelle, en vertu de la Loi sur l’instruction publique, au conseil des commissaires pour contester ces deux actes abusifs. Les commissaires ne répondent pas. Son père écrit au ministre Proulx, qui ne donne pas suite à la demande d’intervention. Le CRARR écrit au ministre et au président de la Commission scolaire, qui ne répondent pas jusqu’à ce jour;

❑ « Audrey », 16 ans et asiatique, fréquentait le Collège Charlemagne depuis 2005. En 2014-15, elle a fait l’objet d’intimidation de la part d’autres filles de race blanche, mais l’école n’a pas pris les moyens de soutien et d'intervention adéquats pour prévenir l'intimidation. Réagissant mal à l’intimidation, elle est elle-même accusée d'intimidation et expulsée. Ses parents n’ont jamais été informés de l'état de la situation avant l'expulsion et des recours disponibles. Réagissant à la plainte de son père, le ministère de l'Éducation intervient et reconnaît que les mesures de lutte contre l'intimidation n'ont pas été mises en œuvre pour aider les parents de la jeune avant l'expulsion. Toutefois, le ministère n’a pris aucune mesure pour protéger les droits de la jeune et de ses parents.

« Ni le ministre, ni les commissions et autorités scolaires, ne suivent la loi qui leur impose pourtant des obligations claires relatives à la protection des droits des étudiants, dont le droit à un milieu scolaire sans intimidation et racisme », dit Asha, la mère de Gabriel.

« La loi contre l’intimidation ne marche pas dans la vraie vie, surtout pour les enfants de couleur, et mes enfants en témoignent », ajoute-t-elle. « Quand j’ai retiré mon enfant de l’école pour le protéger, la Commission scolaire a fourni très peu d’aide, mais elle nous a dénoncés auprès de la DPJ ».

Pour le père d’Emmanuel, « la manière dont mon fils a été traité tout au long du processus est un exemple flagrant de racisme systémique en milieu scolaire, et cet état de fait commence en haut de la hiérarchie, avec le bureau du ministre de l'Éducation qui, de toute évidence, considère une manifestation d'injustice grave à l'endroit d'un jeune Noir comme un non-événement ne justifiant aucune intervention de sa part », dit-il.

Quant au père d’Audrey, le problème ne s’arrête pas là. Après que le CRARR a déposé une plainte son nom auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, père et fille ont été interrogés pendant 90 minutes par une avocate blanche à l’étape d’évaluation préliminaire de la plainte. Celle-ci a remis en question l’allégation de racisme à plusieurs reprises, et a employé un ton inquisitoire qui a re-traumatisé la jeune fille, qui tremblait visiblement sous pression et qui n’a pas pu répondre correctement.

« J’ai déposé une plainte auprès de la direction de la Commission concernant la manière dont ma fille, déjà traumatisée par l’intimidation et la discrimination, a été traitée à la Commission et bien sûr, la plainte n’est allée nulle part. Il faut que la Commission embauche plus de personnel enquêteur issu des minorités racisées, avec des compétences et expériences de vie pour aider les enfants et les adolescents de couleur », selon le père d’Audrey.

La sous-représentation des avocats noirs et anglophones dans la direction du contentieux (qui est responsable des avis juridiques et de la représentation des victimes devant le Tribunal des droits de la personne) et dans la direction des enquêtes, est un problème systémique longtemps constaté au sein de la Commission.

Pour les parents, le fait que des jeunes racisés qui sont victimes d’intimidation soient disproportionnellement traités par les autorités scolaires comme des agresseurs et sanctionnés en conséquence, et que leurs plaintes ne soient pas pris au sérieux par le ministère de l’Éducation ou la Commission des droits de la personne, reflète une tendance de plus en plus marquée, soit la banalisation des actes de discrimination raciale.

Le CRARR a reçu depuis janvier 2017, une vingtaine de demandes d’aide venant de parents racisés à cet effet, la majorité des parents d’origine haïtienne et maghrébine choisissant de ne pas aller plus loin pour peur de représailles et manque de confiance en la justice.

En Amérique du Nord, notamment en Ontario, ce phénomène, celui de l’école devenant « un pipeline vers les prisons » pour les jeunes racisés, est souvent contesté devant les tribunaux à cause des effets pervers des mesures de lutte contre l’intimidation en milieu scolaire qui dans leur application, défavorisent de manière disproportionnée les jeunes de couleur. Le Québec n’a pas de politique ou de plan d’action à cet égard.