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33 000 $ POUR PROFILAGE RACIAL ET SOCIAL : LE CAS D’UNE FEMME NOIRE EXPULSÉE PAR L’UNIVERSITÉ CONCORDIA IRA AU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE



Montréal, 9 novembre 2017 — Le cas d’une femme noire qui a été interpellée, détenue et expulsée par les agents de sécurité de l’Université Concordia, sera porté devant le Tribunal des droits de la personne par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Dans une décision, transmise aux parties en octobre dernier, la Commission a conclu que Chantal Lapointe, une femme d’origine haïtienne, a été l’objet de profilage racial et social en 2013, de la part des agents de sécurité de Concordia. La Commission demande aux deux institutions de payer à Mme Lapointe 33 000 $ en dommages.

Cette affaire aura des répercussions sur les institutions d’enseignement post-secondaires, les centres commerciaux et les agences de sécurité privées.

« Après tant d’années à être interpellée, interrogée et expulsée des commerces et des autobus de manière arbitraire, je me sens exonérée aujourd’hui », dit Chantal Lapointe. « Être Noire, obèse et vêtue de manière modeste n’est pas une menace ni une infraction, et je mérite le même respect et la même liberté que tout autre être humain ».

Mère monoparentale dans la cinquantaine, Mme Lapointe se déplace avec difficulté en raison de problèmes de santé. Elle se déplace souvent un lourd sac à dos contenant des documents de travail.

Au début du mois de juillet 2013, vers 18 h 30, Mme Lapointe, portant trois sacs, dont un sac d’épicerie, a quitté la bibliothèque de Concordia, rue de Maisonneuve Ouest, pour se rendre par la voie souterraine à l’Édifice EV de Concordia, sur la rue Saint-Catherine Ouest, afin de se rendre au Pharmaprix devant l’édifice.

À peine arrivée aux portes tournantes, elle a été arrêtée par un gardien de sécurité de Concordia, qui lui a demandé de s’identifier et de lui dire où elle allait. Surprise par cette question inattendue, elle a répondu qu’elle ne comprenait pas pourquoi elle devait s’identifier puisque le lieu est accessible à tout le monde. Le gardien de sécurité a répliqué qu’elle se trouvait sur la propriété de Concordia et qu’il avait le droit d’y restreindre ses déplacements.

Un autre garde de sécurité a alors voulu photographier. Un garde lui a alors demandé de quitter les lieux « pour éviter des problèmes », alors qu’un autre appelait la police.

Deux policières sont arrivées et Mme Lapointe a tenté de leur expliquer la situation. Sans prêter attention à sa version des faits, elles l’ont chassée du métro en l’avertissant de ne plus revenir sous peine d’être arrêtée. Elle a donc quitté les lieux les lieux.

Révoltée par cette expulsion qui, selon elle, est basée sur sa race et son apparence physique, Mme Lapointe a demandé l’aide du CRARR pour déposer auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, une plainte pour profilage racial et profilage social.

Dans son enquête, la Commission a constaté que dans les rapports de sécurité de Concordia, Mme Lapointe est décrite comme "a strange woman", "Mrs. Voodoo ou Vaudoo" ou " black homeless female". Il y a même des allégations qu’elle faisait peur aux gardes de sécurité en les menaçant de leur jeter un sort. L’enquête a aussi révélé que Concordia a adopté une politique qui permet aux agents de sécurité d’exiger des personnes se trouvant sur les lieux de s’identifier et, au besoin, de leur refuser l’accès, ce qui leur donne le droit d’expulser des personnes itinérantes. Concordia admet qu’environ 1 000 personnes sont ainsi expulsées chaque année, mais ne tient pas des données sur la race, le sexe ou l’âge de ces personnes.

La Commission a conclu que l’expulsion a eu lieu sans motif valable étant donné que Mme Lapointe ne manifestait pas de « comportement dérangeant » et que sa race, sa couleur et sa condition sociale ont joué un « rôle déterminant » dans la décision des agents de sécurité de l’intercepter et de l’expulser.

Par conséquent, la Commission propose que l’Université et le Corps canadien des Commissionnaires (Division de Montréal, ou CCC) versent à Mme Lapointe un total de 33 000 $ en dommages, dont 20 000 $ en dommages moraux, 3 000 $ en dommages punitifs par le CCC et 10 000 $ par Concordia pour atteinte intentionnelle aux droits de Mme Lapointe.

La Commission demande aussi à Concordia de réviser ses politiques et ses pratiques qui mènent au profilage racial et au profilage social, et de former ses gardes de sécurité sur les droits de la personne.

Dans le passé, le CRARR a déjà aidé Mme Lapointe à avoir gain de cause dans des plaintes contre la STM et contre un restaurant du centre-ville de Montréal pour l’avoir expulsée et dénoncée auprès de la police.

« La décision de la Commission sur le cas de Mme Lapointe est la deuxième que nous avons reçue dans les derniers trois mois qui comporte des dommages aussi élevés et qui demande que des mesures systémiques soient prises par une institution publique », note le directeur général du CRARR, Fo Niemi.

L’autre décision concerne aussi un cas de profilage racial et de profilage social par des agents du SPVM à l’encontre une étudiante d’origine arabe de Concordia. La Commission réclame 45 000 $ du SPVM dans ce cas.

« Nous applaudissions cette nouvelle direction de la Commission qui a agi plus sévèrement contre le profilage racial et le profilage social qu’auparavant » dit M. Niemi.

L’Université Concordia et le CCC avaient jusqu’au 27 octobre pour se conformer aux recommandations de la Commission. Étant donné leur refus de le faire, le Tribunal des droits de la personne sera maintenant saisi de cette affaire.

Le CRARR considère que ce cas est très important car il permettra aux tribunaux québécois de se prononcer sur les notions d’intersectionnalité, de profilage racial dans la sécurité privée et de profilage social. Pour cette raison le CRARR a décidé de participer au procès et il encourage les organismes de défense des droits des victimes de profilage social, notamment les personnes sans-abri, à intervenir dans ce litige.