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TRANSPORT EN COMMUN ET USAGERS HANDICAPÉS : LA DÉCISION DE LA COMMISSION DES DROITS FAIT RECULER LA LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE



Montréal, 11 avril 2017 — La décision fort inquiétante de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui rejette les plaintes de discrimination dans le transport en commun logées par des usagers handicapés, a créé un précédent néfaste à la lutte contre la discrimination systémique et à la promotion de l’accommodement raisonnable au Québec.

Telle est la réaction du CRARR lors d’une conférence de presse tenue par le RAPLIQ (Regroupement des activistes pour l’inclusion au Québec) aujourd’hui.

Le RAPLIQ a réagi avec de vives critiques à l’endroit de la Commission, suite à la décision de cette dernière de rejeter une quinzaine de plaintes de discrimination systémique que le RAPLIQ a déposées en 2011 au nom de ses membres, contre la Société de transport de Montréal (STM). Le CRARR a fourni de l’aide au RAPLIQ en 2011, dans la préparation de ces plaintes.

Une étude du RAPLIQ a démontré qu’en 2011, seulement 11 stations de métro sur 68 sont accessibles et qui doivent gérer de nombreux problèmes d’inaccessibilité récurrents dans les systèmes de transport adapté et de rampes d’autobus. À titre d’exemple, plusieurs autobus sont dépourvus d’aides technologiques pour les personnes en fauteuil roulant. Quand ces aides sont disponibles, elles fonctionnent souvent mal. Ces obstacles privent les personnes handicapées d’une flexibilité dans les déplacements que les usagers du transport en commun régulier peuvent prendre pour acquis.

Toutes ces preuves d’exclusion systémique n’ont pas suffi à la Commission. Elle a conclu, dans une décision prise en janvier 2017 et transmise aux parties vers la mi-mars dernier, que les plaintes des personnes handicapées « portent sur la qualité du service offert plutôt que sur son accessibilité » et que la STM « a mis en place des accommodements raisonnables, dans les limites de la contrainte excessive, pour assurer le transport des personnes à mobilité réduite ».

Selon la position du RAPLIQ, que le CRARR partage entièrement, la Commission a commis une erreur en omettant de considérer les effets de l’exclusion pure et simple de certains usagers, allant nettement au-delà d’un défaut de qualité du service.

« Avant de qualifier les mesures d’accommodement raisonnable de la STM, la Commission aurait dû statuer d’abord sur la question à savoir si et comment chaque usager a été discriminé et privé d’accès aux moyens de transport en commun. La Cour suprême a établi des normes d’analyse claires de la discrimination dans les arrêts Via Rail en 2007 et Bombardier en 2015 », souligne M. Didier Chelin, stagiaire en droit au CRARR.

« La Commission a non seulement écarté les normes de la Cour suprême dans son analyse mais, ce faisant, a justifié le point de vue de la STM au lieu de s’en tenir à celui du RAPLIQ. C’est un mauvais précédent nuisible aux personnes ayant droit à des accommodements raisonnables », selon M. Chelin.

Outre la préoccupation avec l’approche de qualité du service pour traiter des plaintes de discrimination systémique, le CRARR est particulièrement préoccupé par la manière dont la Commission aborde la notion de l’accommodement raisonnable. Il note que durant les cinq années d’enquête, la Commission n’a retenu aucune expertise indépendante et objective afin d’évaluer les données techniques fournies par des ingénieurs de la STM, et de déterminer si les mesures mises en place par la STM ont été effectivement adéquates pour réduire l’inaccessibilité de ses autobus et ses stations de métro.

« La Commission semble se contenter des données techniques budgétaires ainsi que des plans d’action fournies par la STM et le ministère des Transports, pour statuer sur la validité de la défense d’accommodement raisonnable de la STM,” ajoute M. Chelin.

Le CRARR note également le fait que la décision a été prise par le Comité des plaintes lors de la séance du 19 janvier 2017 alors qu’il n’y avait qu’un seul commissaire des droits de la personne en poste (Me Pascale Fournier), les quatre autres postes étant vacants. On ignore si elle a participé au Comité des plaintes (composé de trois commissaires) responsable de la décision. Les autres membres en poste à ce moment sont tous des commissaires des droits de la jeunesse (MM. Gilles Fortin, Martial Giroux, Camil Picard et Bruno Sioui, et Mmes Isa Iasenza Jocelyne Myre, http://www.cdpdj.qc.ca/fr/commission/Pages/membres.aspx).

Notons que lors de cette même séance, le Comité des plaintes a également rendu une décision fort discutable, rejetant une plainte déposée par le CRARR en matière de discrimination fondée sur la citoyenneté que l’on retrouve encore dans la Loi sur les syndicats professionnels. La Cour suprême a pourtant déclaré cette discrimination illégale et inconstitutionnelle en 1989.

« Nous avons besoin de commissaires compétents en matière de droits de la personne, qui connaissent la jurisprudence en matière d’égalité et qui rendent des décisions en fonction de leur expertise, et non des commissaires qui ne font qu’approuver les avis des avocats internes », constate le Directeur général du CRARR, Fo Niemi.

À cause d’une série de décisions discutables de la Commission au cours des derniers mois, le CRARR préconise que le nom des commissaires siégeant aux Comité des plaintes soit rendu public dans chaque décision, afin d’assurer la transparence de la Commission et l’imputabilité des Commissaires nommés par l’Assemblée nationale.

Le CRARR soutiendra le RAPLIQ dans sa démarche de révision judiciaire de la décision.