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TOMEE SOJOURNER, LESBIENNE NOIRE ANGLOPHONE, GAGNE SA CAUSE CONTRE LE CONSEIL DE LA JUSTICE ADMINISTRATIVE


Montréal, 18 août 2016 — Tomee Sojourner, une lesbienne noire anglophone qui a logé une plainte de discrimination contre une Régisseure de la Régie du logement, a finalement remporté une victoire judiciaire contre le Conseil de la justice administrative qui, selon la Cour supérieure, a mal traité sa plainte il y a deux ans.

Dans une décision rendue la semaine dernière, la juge Chantal Masse de la Cour supérieure invalide la décision du Conseil de la justice administrative (CJA), laquelle rejette la plainte de Mme Tomee Sojourner, et retourne celle-ci au Conseil pour que celui-ci refasse son travail.

« Je suis contente que la Cour ait tapé sur les doigts du Conseil de la justice administrative, et j'ai hâte de voir comment celui-ci agira en conformité avec les Chartes des droits », dit Mme Sojourner, candidate au LLM à la Osgoode Hall Law School , Université York et consultante en milieu de travail.

« Ma confiance dans le système de la justice québécois a été assez ébranlée quand j'ai vu que sept juges administratifs et le Conseil ont traité ma plainte de manière aussi erronée et contraire à la loi. En fait, même dans la décision de la juge Masse, celle-ci a évacué l'aspect des identités intersectionnelles », précise-t-elle.

Mme Sojourner est une lesbienne anglophone de race noire. En 2013, elle a comparu devant la Régie du logement dans un litige avec son propriétaire au sujet de son logement. Lors de l'audience, la Régisseure Luce De Palma s'est adressée en utilisant le terme « Monsieur Sojourner » à plusieurs reprises malgré les rappels de celle-ci et du représentant du propriétaire, qu'il fallait s'adresser à elle par le terme « Madame Sojourner ». La Régisseure De Palma aurait de plus fait allusion à la coiffure de Mme Sojourner pour expliquer cette confusion dans les appellations.

Suite à cet incident, Mme Sojourner a déposé une plainte en déontologie devant le CJA qui a compétence en la matière. Dans sa plainte, Mme Sojourner alléguait que la Régisseure a manqué d'impartialité et s'était comportée de manière discriminatoire en raison de la race, la langue, l'identité du genre et l'orientation sexuelle de Mme Sojourner et que cette attitude violait ses droits à l'égalité garantis par les Chartes canadienne et québécoise.

Le Comité d'examen d'admissibilité de plaintes du CJA (le Comité), composé pourtant de cinq juges administratifs, qui a analysé la plainte de Mme Sojourner, a estimé que la Régisseure De Palma n'avait pas la volonté de dénigrer Mme Sojourner et que les reproches de cette dernière n'étaient pas confirmés par les faits portés à sa connaissance. En conséquence, le Comité a rejeté la plainte de Mme Sojourner.

Constatant que le CJA avait mal traité sa plainte en commettant des erreurs de droit majeures, Mme Sojourner dépose une requête en révision judiciaire. En octobre 2014, la juge Guylène Beaugé de la Cour supérieure lui donne raison et invalide la décision du CJA. La Régisseure De Palma, mise en cause dans la requête, demande ensuite à la Cour supérieure la rétractation de ce jugement de la juge Beaugé.

C'est sur cette demande de rétractation que la juge Masse vient de rendre jugement. La juge accepte de rétracter le jugement de la juge Beaugé, mais révise la décision du Comité en demandant au CJA de réexaminer la plainte de Mme Sojourner.

En notant qu'il « va de soi que la plainte de Madame Sojourner ne vise en aucun cas à obtenir « de gros sous » et qu'il s'agit « d'une question de principe », la juge Masse a estimé que le Comité, en décrétant l'irrecevabilité de la plainte, n'a énoncé aucun motif en lien avec les éléments relatifs à la langue, à la race et à l'orientation sexuelle ainsi qu'à l'allégation de manquement à l'obligation d'impartialité et d'objectivité prévue à l'art. 6 du Code de déontologie des régisseurs de la Régie du logement ».

Selon M. Fo Niemi, Directeur général, du CRARR, il s'agit d'une mise en garde qui en dit long sur le devoir du CJA de traiter les plaintes de nature déontologique dans le respect des Chartes des droits.

Par ailleurs, la juge Masse rappelle que la notion de discrimination n'implique pas nécessairement une intention mais que c'est l'effet discriminatoire qui importe. Elle ajoute que dans le contexte d'une plainte de nature déontologique, « l'intention n'est pas non plus un pré-requis pour qu'il y ait constat de discrimination. […]. La bonne foi ne saurait excuser tous les comportements ».

Cette clarification est d'autant plus importante étant donné que la Régisseure De Palma a employé comme défense l''erreur « de bonne foi » pour réfuter l'allégation de discrimination de Mme Sojourner.

Si le CRARR est satisfait de la décision de la juge Masse, il s'est dit, par contre, préoccupé par certains de ses commentaires. En effet, la juge est d'avis que l'atteinte à la dignité découlant de propos doit être d'une réelle gravité avant de conclure que ceux-ci sont discriminatoires et « qu'il faut pouvoir franchir un certain seuil de gravité de l'atteinte lorsqu'on allègue une discrimination ».

« Certes, nous considérons que cette notion de « calibration » de la discrimination ou de l'atteinte aux droits peut être néfaste pour les victimes de discrimination, car elle ouvre la porte à l'arbitraire dans la détermination du seuil à partir duquel statuer sur le degré d'atteinte aux droits », dit M. Niemi.

En outre, il serait préférable que la juge Masse se prononce ou donne des indications claires sur la notion de la discrimination intersectionnelle, ou la discrimination basée sur l'entrecroisement de plusieurs motifs tels la race, le sexe et l'orientation sexuelle. Cette notion importante de l'intersectionnalité, qui est pourtant reconnue par les tribunaux canadiens est encore largement ignorée au Québec. La juge Masse aurait donc pu saisir cette occasion pour réitérer l'importance d'analyser cette notion dans l'étude d'une plainte comme celle de Mme Sojourner, selon M. Niemi.

« Ma cliente est très contente de la décision, car comme dit la juge Masse, c'est une question de principe pour Mme Sojourner », dit Me Aymar Missakila, avocat de Mme Sojourner.

« Nous sommes confiants que le CJA saura prendre une décision impartiale, objective et fondée solidement sur les normes juridiques contemporaines en matière de droit à l'égalité », conclut-il.