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PROFILAGE RACIAL : LA COUR REJETTE UNE REQUÊTE DE LA COMMISSION DES DROITS POUR FAIRE ÉCHEC AU CAS D'UN JEUNE NOIR


Montréal, 23 octobre 2014 — La Cour supérieure a rejeté une requête déposée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse visant à déclarer irrecevable le recours d'un jeune homme noir, qui a fait l’objet d’intervention et d’arrestation policière violente à Montréal et dont la plainte de profilage racial auprès de la Commission a été fermée par celle-ci.

Les faits remontent au 28 juillet 2012, lorsque, David, un jeune homme d’origine haïtienne alors âgé de 26 ans, a été victime d'une intervention policière brutale et au caractère disproportionné et discriminatoire dans le quartier de Pointe-aux-Trembles.

D'abord interpellé au motif qu'il était « suspect dans une fusillade » alors qu’il se trouvait dans sa voiture avec une amie (également d’origine haïtienne) dans sa voiture, laquelle était stationnée à deux grands blocs de lieu de la fusillade, David a ensuite été considéré comme suspect d'avoir consommé de l'alcool une fois établi que le suspect de la fusillade avait été interpellé par la police. La police recherchait un suspect de race noire conduisant une Jeep noire, alors que David conduisait un Altima Nissan noir.

L'interpellation de David, menée par le policier, a été menée de manière brutale dès le début de l'intervention policière. Ce dernier, aidé de quelques renforts, s'est montré agressif et physiquement violent, assénant à David des coups de poing et de matraque et l'aspergeant de poivre de cayenne. Il a été ensuite arrêté et mis en cellule avant d'être libéré, mais une accusation criminelle pour entrave à un agent de police dans l'exercice de ses fonctions et une accusation criminelle pour refus d'obtempérer à l'ordre de se soumettre à un alcooltest ont été émises contre lui. Son permis de conduire a été aussi suspendu, lui causant de grands préjudices car il en avait besoin pour aller au travail.

Quelques heures après sa remise en liberté, David s'est rendu à une clinique médicale afin de se faire examiner, souffrant de douleur à plusieurs parties de son corps, de problèmes avec sa vision et de diminution de sa capacité auditive. Une note médicale a été émise, dans laquelle le médecin fait état de « contusions légères » et suggère de la glace en cas de douleur.

Avec l’aide du CRARR, David loge une plainte contre le policier auprès d Commissaire à la déontologie policière. Après l’enquête, le Commissaire a cité l'agent mis en cause sous cinq chefs d’actes dérogatoires au Code de déontologie des policiers du Québec, dont un relatif à la race.

Une autre plainte pour profilage racial a aussi été déposée devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse comme mentionnée ci-dessus. Cette plainte a fait l'objet d'un rejet de la part de la Commission qui a estimé que le délai de prescription pour déposer une plainte devant elle avait été dépassé, en se basant sur le délai de 6 mois prévu à l’art. 586 de la Loi sur les Cités et les Villes (L.C.V) et sur l’inapplicabilité de l’article 2930 du Code Civil du Québec (C.C.Q.), lequel permet une exception au délai des 6 mois en cas de dommages corporels. Dans le cas actuel, la Commission estime que David n’a pas eu de dommages corporels et que sa plainte, déposée 7 mois après l’incident, est donc prescrite.

Or il convient de rappeler que de nombreuses pièces au dossier démontrent l'existence de dommages corporels de façon incontestable, dont la mention explicite des « contusions légères ». En outre, le rapport de police au sujet de l’incident réfère explicitement à des coups de poing et de matraque à l’endroit de David. selon ce dernier, il ne reviendrait pas à la Commission de qualifier ou de banaliser ses blessures corporelles.

Finalement, la plainte est déposée en février 2013 et elle a fait l’objet d’évaluation par la Commission quant à son admissibilité en avril 2013. Une copie plus lisible de l’attestation médicale a été transmise par le CRARR à la Commission en mai 2013 et ce, sans que celle-ci ne pose des questions supplémentaires à ce stade. Le dossier est ensuite transféré à l’enquête et c’est seulement en avril 2014 que la Commission pose des questions sur les blessures corporelles et la prescription.

L'enquêtrice dans le dossier recommande la fermeture du dossier après avoir constaté que la note médicale n'a pas fait état de blessures corporelles (nonobstant l'observation des « contusions légères » par le médecin). Malgré le fait que le CRARR a souligné cette erreur, ainsi que la jurisprudence applicable concernant le préjudice corporel, la Commission ferme le dossier en août 2014.

Estimant que la Commission a erré de façon manifestement déraisonnable et qu’elle n’a pas suivi la jurisprudence en matière de prescription, David saisit la Cour supérieure du Québec afin de demander à celle-ci d'invalider sa décision et de retourner le dossier à celle-ci pour refaire son travail. Il réclame également 15 000 $ en dommages de la Commission, constatant que celle-ci n’a pas fait preuve de diligence dans le traitement de son dossier, hormis son erreur dans l’interprétation de la loi et dans la détermination de la prescription.

Pour faire échec à la demande de contrôle judiciaire de David, la Commission dépose une requête en irrecevabilité, citant, entre autres, le délai de 45 pour le dépôt de la demande, l'immunité de la Commission, et son pouvoir discrétionnaire dans le traitement des plaintes.

Le juge Pierre Nollet rejette la position de la Commission, ce qui permet à la demande de David de procéder.

Selon Me Melissa Arango, l'avocate de David, « C'est une victoire pour David. Nous sommes d'avis que notre action prévaudra et qu'elle sera d'une grande utilité non seulement à mon client mais aussi à toutes les victimes de profilage racial et de brutalité policière au Québec qui désirent poursuivre pour obtenir des dommages ».

« C'est fort préoccupant de constater que les Commissaires ont pris une décision sur mon cas sans obtenir un avis juridique correct, et que la Commission allait à l'encontre de la décision de la Cour d'appel », dit David, dont le père est une personnalité bien connue de la communauté haïtienne de Montréal.

« Je ne suis pas supposé d'emprunter et de dépenser des milliers de dollars pour demander à la Cour d'instruire la Commission des droits de la personne concernant la protection de mes droits. Imaginez ce qui arrive aux victimes de profilage racial qui font appel à la Commission pour de l'aide, sans avoir l'appui d'un groupe comme le CRARR ou sans avoir de l'argent pour avoir réellement accès à la justice », ajoute-il.

Avant que la Commission des droits de la personne ferme le dossier de David, le Commissaire à la déontologie policière a, après avoir terminé sa propre enquête, cité le policier impliqué devant le Comité de déontologie policière pour violation du Code de déontologie des policiers.