Founded in 1983 - United for Diversity and Racial Equality

LE DROIT D’EXIGER LA COPIE DU PASSEPORT D’UNE VICTIME DE DISCRIMINATION EN EMPLOI DEVANT LES TRIBUNAUX


Montréal, 9 avril 2013 --- Un immigrant qui dépose une plainte de racisme dans l’embauche a-t-il l’obligation de produire, comme éléments de preuve de sa crédibilité, une copie de son passeport ainsi que les papiers attestant sa résidence permanente et son droit de travailler au Canada ?

Voilà la question qui sera soulevée devant le Tribunal des droits de la personne et d'autres instances judiciaires, dans le cas d’un jeune homme maghrébin à qui on a refusé une entrevue d’embauche en 2008 par une compagnie d’entretien ménager de résidences pour personnes âgées.

L'affaire sera entendue par le Tribunal dans le cadre d'une audition sur la requête de la compagnie visant à faire rejeter le dossier. L'audition aura lieu le 11 avril prochain, à 9 h 00, à la salle 13.04 du Palais de justice de Montréal (1, rue Notre-Dame Est).

Arrivé à peine deux ans au Canada, le jeune homme, A., a soumis son CV pour le poste d’entretien ménager chez la compagnie. N’ayant pas reçu de réplique, il soumet un autre CV, contenant les mêmes renseignements, cette fois-ci sous un nom « québécois » fictif; il reçoit peu après une convocation à une entrevue. Ce n’est que lorsqu’il se présente à l’entrevue que les représentants de la compagnie réalisent sa vraie identité et il n’a pas été ensuite embauché. A. sollicite l’aide du CRARR de l’assister dans une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

En juin 2011, la CDPDJ rend une décision en sa faveur, constatant la suffisance de preuve de discrimination dans l’embauche basée sur l’origine ethnique ou nationale ainsi que le fait que dans le formulaire de demande d’emploi, la compagnie en question a demandé aux candidats, leur numéro d’assurance sociale, leur date de naissance, leur antécédent judiciaire et leur état de santé, ce qu’a fourni A. La CDPDJ recommande 18 000 $ pour A. et la cessation du recueil desdits renseignements personnels.

Suite au défaut de la compagnie de se conformer à la recommandation de la CDPDJ, celle-ci porta l’affaire devant le Tribunal des droits de la personne où elle représenterait A. à titre de victime de discrimination.

En octobre 2012, lors de l'interrogatoire d’A. avant l’audition, l’avocat de la compagnie mise en cause lui pose des questions sur les informations mentionnées dans sa plainte et son dossier, et exige qu’il produise à titre d’engagements, entre autres, une copie de son passeport, des papiers attestant sa résidence permanente, une copie de son baccalauréat obtenu dans son pays d’origine, l’Algérie, ainsi qu’une copie des équivalences d’études fournies par le ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles.

Peu de temps après, la CDPDJ se retire du dossier et laisse A. aller seul avec son dossier devant le Tribunal des droits de la personne, où il sera représenté désormais par Me Aymar Missakila.

L’une des premières choses que fait Me Missakila est de contester les engagements relatifs au passeport, aux papiers de résidence permanente et à ses études en Algérie.

« Il s’agit de demandes d’informations personnelles qui ne présentent aucun lien avec le double objet du litige, soit la discrimination raciale et l’exigence des renseignements personnels prohibés par la loi au stade de la sélection », souligne Me Missakila.

« L’enjeu est de savoir si mon client a été discriminé à cause de son nom qui reflète son origine ethnique arabe lors de la présentation de sa candidature. Son statut de citoyenneté, sa date d’arrivée au pays ou son permis de travail au moment de la sélection, n’ont aucune pertinence avec sa contestation des actes discriminatoires dans l’embauche », dit Me Missakila.

Le CRARR constate que le fait d’exiger qu’un immigrant qui conteste la discrimination raciale dans l’emploi, prouve son droit d’être et de travailler légalement au Canada, est un seuil dangereux à franchir.

« Si nous tolérons l’exigence de la preuve de résidence permanente, et d’une copie du passeport ou d’attestation d’études du pays d’origine, dans un cas de discrimination basée sur l’origine ethnique et la race qui n’a rien à faire avec le statut de citoyenneté de la personne, nous ouvrons la porte à des violations abusives additionnelles du droit à l’égalité et à la vie privée des immigrants, d’autant plus que la loi prescrit des paramètres rigoureux relatifs à l’usage du passeport et d’autres renseignements nominatifs », constate le directeur général du CRARR, Fo Niemi.

« Ces exigences imposent un fardeau indû et discriminatoire aux victimes de discrimination qui portent plainte devant la Commission des droits de la personne », ajoute-t-il. « Ça équivaut à exiger qu’une locataire lesbienne prouve son orientation sexuelle, ou une personne handicapée, son handicap, dans un cas de discrimination dans le logement fondée strictement sur le fait qu'elle est sur l’aide sociale et que le propriétaire ne veut pas louer à quelqu’un sur l’aide sociale ».