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LA DÉCISION DE LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE SUR LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR LA CITOYENNETÉ : LE PIRE RECUL POUR LES IMMIGRANTS ET LES MINORITÉS RACISÉES



Montréal, 21 mars 2017 — En affirmant que la Charte des droits et libertés de la personne n'interdit pas la discrimination fondée sur la citoyenneté, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ouvre la porte à la discrimination contre les personnes qui résident légitimement au Québec mais qui n'ont pas encore la citoyenneté canadienne.

Dans une décision rendue publique la semaine dernière, la Commission a rejeté la plainte d'une femme d'origine haïtienne, K.A. qui avait obtenu en septembre 2015 le poste de technicienne comptable auprès de l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) et qui a été congédiée deux semaines plus tard sous prétexte qu'elle n'avait pas la citoyenneté canadienne. L'AQPP avait invoqué la Loi sur les syndicats professionnels (LSP), une loi adoptée en 1924, et qui prévoit que « seuls les citoyens canadiens peuvent être membres du conseil d'administration d'un syndicat ou faire partie de son personnel ».

Selon la Commission, « la non-détention de la citoyenneté constitue l'unique motif de la décision de l'AQPP, sans égard à l'origine haïtienne de (la victime), que « l'état du droit ne permet pas d'élargir la portée de l'article 10 à des motifs non énumérés » et que par conséquent, « la plainte ne relève pas d'un cas de discrimination au sens de la Charte ».

Les grandes centrales syndicales, leurs sections locales, ainsi que d'autres organismes sans but lucratif, sont incorporés en vertu de cette loi. On estime que plus 1 740 syndicats et OBSL sont régis par cette loi, ce qui les rend inaccessibles en termes d'emploi aux personnes n'ayant pas la citoyenneté canadienne.

Dans la plainte déposée au nom de K.A., le CRARR a cité l'arrêt Andrews, dans lequel la Cour suprême a statué, en 1989, que l'exigence de la citoyenneté pour l'admission au Barreau de la Colombie-Britannique est discriminatoire car contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le CRARR a aussi fait valoir que la règle interdisant l'emploi des non-citoyens a un impact disproportionnellement négatif sur les personnes racisées, puisque celles-ci constituent environ 70 % des immigrants et immigrantes au Québec, d’où le motif « race » invoqué dans la plainte outre celui de « origine ethnique ou nationale ».

En même temps, le CRARR a demandé à la ministre de la Justice, Mme Stéphanie Vallée, et à la ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI), Mme Kathleen Weil, d'agir le plus rapidement possible pour mettre fin à ces barrières discriminatoires. Le CRARR n'a reçu à ce jour aucune information du gouvernement quant aux mesures concrètes prises pour mettre fin à cette discrimination.

Pour K.A., cette décision est des plus décevantes : « Je me trouve sans protection de mes droits. Ma seule option serait est de contester, à mes frais, la constitutionnalité de la LSP devant la cour », déclare-t-elle.

« J'ai attendu plus d'un an pour me faire dire que mon congédiement n'est pas illégal parce qu'il y a une loi de 1924 qui permet ce genre de discrimination » dit-elle. « C'est inconcevable que rien n'ait été fait pendant plus d'un an pour respecter mes droits et mettre fin à cette discrimination immorale ».

Ironiquement, le Syndicat des employé-e-s de la Commission est affilié à la CSN, un syndicat lui-même régi par la LSP, ce qui placerait la Commission dans une situation délicate, ayant à statuer sur la plainte de K.A. Par ailleurs, la décision a été prise essentiellement par des commissaires des droits de la jeunesse qui ont peu d'expérience dans des dossiers de Charte, alors que la quasi-totalité des postes de commissaires des droits de la personne sont vacants.

Selon M. Fo Niemi, directeur général du CRARR : « Cette décision de la Commission est indéfendable sur les plans constitutionnel, économique et social. C'est le pire recul pour les droits des immigrants et des personnes racisées au Québec. On ne comprend pas pourquoi ni le Gouvernement, ni l'Opposition, ni les syndicats n'aient rien fait près de 30 ans après l'arrêt Andrews et plus d'un an après que le CRARR ait tiré la sonnette d'alarme ».

« Nous craignons que cette décision n'ouvre la porte à la discrimination raciale et ethnique sous le couvert de la non-citoyenneté et qu'elle ne constitue une entrave aux efforts du Gouvernement du Québec pour réduire l'exclusion des immigrants du marché du travail et combattre le racisme systémique », ajoute M. Niemi.

K.A. et le CRARR envisagent une contestation de la constitutionnalité de la LSP devant les tribunaux. Une campagne de financement dans ce but débutera sous peu.

Différents organismes communautaires représentant des immigrants et des minorités racisées se sont joints au CRARR en 2016 pour demander des changements législatifs mettant fin à la discrimination dans la LSP. Parmi ces organismes : l'Association des étudiants noirs en droit de McGill (représentée par Mme Chantelle Dallas),le Conseil des femmes musulmanes du Canada (Mme Shaheen Junaid), Justice Femme (réseau de femmes musulmanes, Mme Hanadi Saad), Pinay (organisme des droits des femmes philippines, Mme Jennifer Lockerby), le Centre communautaire des femmes sud-asiatiques et le Centre des travailleurs immigrants.