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« DEUX MAGNIFIQUES INDIVIDUS DE RACE NOIRE » : DES PROPOS INACCEPTABLES MAIS SANS PROFILAGE RACIAL


Montréal, 11 juillet 2014 --- Le Commissaire à la déontologie policière doit porter en appel une décision du Comité de déontologie policière rendue publique le 18 juin dernier, selon laquelle une policière de Longueuil n’a pas commis de profilage racial lorsque celle-ci a intercepté une voiture avec « deux magnifiques individus de race noire à l’intérieur ».

Les faits entourant ce cas remontent au 30 mars 2010. Ce jour-là, vers 16h00, M. Sekou Kaba, agent de la paix à l’emploi du Service correctionnel d’origine africaine, est au volant du véhicule immatriculé au nom de sa conjointe, une Toyota Highlander RWD noire 2008. Il est citoyen de la Ville de Longueuil et roule vers Montréal afin d’aller chercher sa conjointe qui travaille à l’Hôpital Notre-Dame. À sa droite, à l’avant, est assis son neveu, un jeune homme de 18 ans, et à l’arrière sa fille d’un an et demi. Les deux hommes sont Guinéens d’origine.

Au même moment, l’agente Mélanie Cappuccilli est en patrouille régulière et elle aperçoit devant elle une voiture Toyota Highlander noire. En raison d’un fléau de vols de voitures de marque Toyota dans la région, les voitures de cette marque étaient souvent interceptées par le service de police de Longueuil afin de vérifier si le conducteur était le propriétaire ou une personne autorisée par ce dernier à les conduire.

L’agent Cappuccilli vérifie donc la plaque d’immatriculation de ce véhicule et obtient l’information à l’effet que la propriétaire est une certaine Jennifer Pouliot. Elle constate que le conducteur est un homme de race noire, de même que le passager, et qu’il n’y a pas de femme à bord. Elle conclut qu’aucun des deux n’est le propriétaire du véhicule et décide alors de l’intercepter.

Selon la preuve du Commissaire, la policière intercepte la voiture et demande les papiers à M. Kaba. Quand celui-ci lui demande s’il a commis une infraction, elle lui aurait répondu : « Non, vous êtes deux noirs dans un véhicule de luxe qui n’est pas à votre nom ». Il lui demande si ce véhicule a été déclaré volé et elle lui répond par la négative et qu’il doit s’identifier. Une dispute s’ensuit et la policière appelle du renfort.

M. Kaba reçoit au final deux billets de contravention : en avril 2010, il reçoit un constat d’infraction pour « avoir refusé de fournir à un agent de la paix un renseignement qu’il a le droit d’exiger » et en décembre 2010, il reçoit un deuxième constat d’infraction « pour ne pas être demeuré immobile à la suite de la demande d’un agent de la paix ».

Il porte plainte auprès du Commissaire à la déontologie policière qui, après enquête, décide de citer la policière devant le Comité de déontologie policière, un tribunal administratif spécialisé, pour interception abusive et profilage racial.

Après une audition, le Comité rejette les citations du Commissaire. Selon le tribunal, puisque les policiers jouissent d’un large pouvoir d’interpellation, le Code de sécurité routière autorise l’agente Cappuccilli à exiger que M. Kaba immobilise son véhicule et qu’il lui remette son permis de conduire pour examen.

Selon le Comité, « lors de son témoignage, l’agente Cappuccilli est apparue comme une policière qui, lors de sa patrouille régulière, était préoccupée par le fléau de vols de certains modèles de voitures de marque Toyota, dont le Highlander, et enquêtait sur le plus de véhicules possible afin d’aider à le contrer ».

Par conséquent, d’après le Comité, le seul fait qu’une femme ne soit pas à bord du véhicule conduit par M. Kaba a été « suffisant » pour que l’agente Cappuccilli décide d’intercepter ce véhicule. Dès lors, selon la preuve présentée, le Comité n’a pu conclure que c’est la race de M. Kaba qui a motivé sa conduite.

Toutefois, concernant les commentaires de la policière concernant les « deux magnifiques individus de race noire à l’intérieur », le Comité note que cette façon de s’exprimer est « inconcevable, répréhensible et inacceptable dans notre société, que ces paroles aient été enregistrées ou non ».

Ainsi, le Comité décide que l’agente Cappuccilli ne s’est pas fondée sur la race de M. Kaba en l’interceptant et qu’elle a respecté l’autorité de la loi.

« Nous sommes cependant d’avis que le Comité a commis une erreur de droit en tenant compte de l’intention de la policière et en écartant certains éléments de preuve circonstancielle pertinents, tels les propos de celle-ci que le Comité lui-même considère comme étant « inacceptables » », constate le directeur général du CRARR, Fo Niemi.

« Or, la jurisprudence a clairement statué que ce n’est pas l’intention qui importe, mais l’effet d’un acte. Par ailleurs, pour prouver le profilage racial, les tribunaux ont statué qu’il faut le faire par déduction et non par la recherche de la preuve directe. Le Commissaire doit envisager la nécessité de porter en appel cette décision, qui constituerait un autre recul pour la lutte contre le profilage racial », ajoute-t-il.

Ceci n’est pas la première fois que le service de police de Longueuil fait face à des plaintes de profilage racial.

En septembre 2012, la Cour municipale de Longueuil a conclu, après deux ans de procédures judiciaires, que M. Joël Debellefeuille a été victime de profilage racial lorsqu’il a été intercepté par deux policiers. Dans le rapport portant sur l’incident, ces policiers notent que « le véhicule appartenait à un certain Debellefeuille Joël, il s'agissait d'un homme de race noir (sic) qui ne correspondait pas à première vue au propriétaire. Debellefeuille sonne comme un nom de famille québécois et non d'une autre origine ».

M. Debellefeuille a été l’objet d’une autre interception par des deux policiers de Longueuil en mars 2012. Ce cas est actuellement devant le Comité de déontologie policière, dans lequel le Commissaire invoque le profilage racial.