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COUR D’APPEL : UN EMPLOYÉ NOIR GAGNE UNE BATAILLE CONTRE LA DISCRIMINATION FONDÉE SUR L’ÂGE À LA VILLE DE MONTRÉAL


Montréal, 15 février 2013 --- Un agent de sécurité d’origine haïtienne à la Ville de Montréal, victime de discrimination fondée sur l’âge dans son emploi, a obtenu une victoire écrasante contre son employeur devant la Cour d’appel du Québec, qui a rendu une décision unanime en sa faveur il y a deux semaines.

Monsieur Paul Audigé, aujourd’hui décédé, est embauché en mai 2000, au poste d’agent de sécurité à la Ville. Le 1er janvier 2002, la Loi sur l’organisation territoriale municipale entre en vigueur et entraine les fusions municipales, ayant pour effet de créer une nouvelle ville. Ainsi, un seul syndicat est accrédité pour représenter tous les cols bleus de l’employeur, dont monsieur Audigé.

Suite à l’échec des négociations entre le syndicat et l’employeur afin de conclure une première convention collective, un arbitre est nommé par le ministre afin de régler la question. Le 4 octobre 2004, la nouvelle convention collective déterminée par l’arbitre entre en vigueur. La clause 19.03 de la convention stipule que « pour les fins d’application du présent article, lorsqu’il y a deux (2) ou plusieurs employés ayant la même date d’ancienneté générale, le facteur déterminant est la date de naissance.» Auparavant, lorsque deux employés avaient la même date d’embauche, l’ancienneté était déterminée par le numéro de matricule attribuée lors de l’embauche. D’ailleurs, l’employeur changera la clause pour revenir à la précédente un peu plus de deux ans plus tard, soit en février 2006.

Cependant, pendant ces deux années où la clause est appliquée, monsieur Audigé perd trois rangs d’ancienneté au profit de collègues plus âgés, et ce, malgré qu’il dispose d' une période de service plus importante qu’eux. Il perd cette ancienneté seulement du fait que ses collègues sont plus âgés. C’est dans ce contexte qu’il dépose une plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, alléguant qu’il est victime de discrimination fondée sur l’âge. Cependant, avant de porter plainte à la Commission, monsieur Audigé avait demandé à son syndicat de déposer un grief, ce que celui-ci a choisi de ne pas faire, avançant que l’employeur appliquait correctement la convention collective.

Parallèlement, avec l'aide du CRARR, plusieurs autres col-bleus ont aussi porté plainte auprès de la Commission.

En avril 2008, la Commission rend une décision favorable à monsieur Audigé, soutenant que les preuves de discrimination sont suffisantes. Toutefois, elle choisit d’utiliser son pouvoir discrétionnaire et de ne pas saisir le Tribunal des droits de la personne du Québec pour obtenir réparation. Elle laisse donc cette démarche aux soins de monsieur Audigé, tel que prévu aux articles 80 et 84 de la Charte des droits et libertés du Québec. Suite à cette décision, des requêtes sont déposées devant le Tribunal au nom de dix employés ayant le même problème de discrimination. Cependant, une confusion en lien avec le nom des différents requérants voit monsieur Audigé exclu du recours, pour une raison hors de son contrôle. Suite à l’échec de sa demande d’amendement, il décide de se tourner vers la Cour du Québec.

Le 15 juin 2011, il dépose une requête devant la Cour du Québec dans laquelle il réclame un montant total de 17 850 $ pour les dommages subis suite à l’application de la clause discriminatoire. La Ville répond par une requête déclinatoire de compétence et par un moyen d’irrecevabilité pour absence de fondement juridique et prescription. Le juge André J. Brochet, de la Cour du Québec, rejette la requête de la Ville qui, suite à une permission d’appeler accordée par la juge Bich de la Cour d’appel, se pourvoit devant celle-ci.

La Ville soutient que le litige découle de l’application d’une clause de la convention collective, ce qui est du ressort exclusif de l’arbitre de grief. Ainsi, malgré le refus du syndicat de déposer un grief, le salarié aurait pu se prévaloir de son recours pour défaut de représentation en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail, prétend la Ville. Monsieur Audigé, quant à lui, soutient que les principes énoncés dans l’arrêt Morin de la Cour Suprême doivent s’appliquer. Ainsi, lorsqu’il est question de l’insertion d’une clause discriminatoire dans une convention collective et non de l’application de celle-ci, le tribunal de droit commun a compétence.

Le juge Gascon conclut, pour les trois juges de la Cour d’appel, qu’il souscrit aux principes de l’arrêt Morin. Ainsi, si l’arbitre de grief a compétence exclusive pour trancher les questions qui relèvent de l’application, de l’administration ou de l’exécution d’une convention collective, celui-ci ne possède pas cette même compétence exclusive pour traiter d’une question qui relève du processus de négociation qui a mené à l’insertion d’une clause discriminatoire. Lorsque l’on parle de ce processus d’insertion, il y a possibilité de chevauchement de compétence. Il faut donc s’attarder à la nature du litige, soit ici l’insertion plutôt que l’application, pour déterminer qui a compétence. Le juge conclut donc que la Cour du Québec a compétence pour entendre le dossier et rejette l’appel de la Ville.

Selon la veuve de monsieur Audigé, « mon mari serait très content d’avoir enfin obtenir justice, il a passé les dernières années de sa vie à faire valoir ses droits et la Cour vient d’affirmer qu’il a eu raison tout au long de cette démarche ».

Pour Me Aymar Missakila, avocat du défunt, la Cour d’appel a renforcé les droits des travailleurs syndiqués en ce qui concerne la protection contre la discrimination dans l’emploi.

« La Cour suprême a statué en 2004 dans l’affaire Morin, que lorsqu’une convention collective comporte des clauses discriminatoires, les travailleurs syndiqués peuvent recourir à la Commission et au Tribunal des droits de la personne. Nous sommes donc très contents que la Cour d’appel a, de manière unanime, rappelé à la Ville de Montréal cette règle pour qu’elle respecte mieux le droit à l’égalité de ses employés », dit Me Missakila.

L’affaire est désormais retournée par la Cour d’appel à la Cour du Québec pour « trancher la réclamation monétaire du salarié ».

C'est la deuxième fois que la Ville perd devant la Cour d’appel dans un recours contre la discrimination dans l’emploi intenté par un employé noir. En 2008, la Cour d’appel a aussi donné raison à monsieur Olthène Tanisma, un professionnel noir à qui l'on a refusé plusieurs postes de gestion au sein de l’administration. Monsieur Tanisma, maintenant représenté, entre autres, par Me Missakila devant la Cour supérieure, attend la décision dans les semaines avenir. La Ville avait prétendu à l'époque qu’il aurait dû loger un grief plutôt qu'une plainte à la Commission. Elle avait même porté le cas devant la Cour suprême qui a finalement refusé d’entendre la demande d'autorisation d'appel de la Ville.

Lire la décision : Montréal (Ville de) c. Audigé 2013 QCCA 171