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LE CAS GALLARDO POURRAIT ÉLARGIR L'ACCÈS AU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE



Montréal, le 18 février 2011 --- Dans un mémoire déposé à  la Cour d'appel la semaine dernière, une Montréalaise d'origine philippine, pourra redéfinir et élargir l'accès au Tribunal des droits de la personne pour les victimes de discrimination dont la plainte est partiellement rejetée par la Commission des droits de la personne.

LES FAITS

En 2006, Luc Gallardo, un élève de sept ans d'origine philippine, a été mis à  l'écart par une éducatrice de l'École Lalande de la Commission scolaire Marguerite Bourgeoys, pour sa pratique culturelle de manger avec une fourchette et une cuillère. Son éducatrice qui considérait qu'il mangeait comme un « clown », l'a puni en le séparant de ses amis et en le faisant manger seul. La mère de Luc, Maria Thérèsa Gallardo, tenta de parler à  l'éducatrice pour lui expliquer cette pratique culturelle. Elle se buta à  l'indifférence de celle-ci, et quelques jours plus tard, lorsque Luc avait oublié de se laver les mains avant de manger, la même éducatrice lui demanda si « dans [son] pays, les gens se lavaient les mains avant de manger ? » [traduction].

L'éducatrice avait fait en sorte que Luc se sentait « honteux d'être Philippin ». Mme Gallardo a tenté à  d'autres reprises de discuter avec l'éducatrice, le directeur de l'école, et même les médias à  propos du problème. La famille s'est constamment butée à  l'indifférence et même aux traitements discriminatoires de l'école. Le directeur a affirmé dans un article publié dans un journal local son appui à  l'éducatrice et a ajouté des commentaires discriminatoires à  l'endroit de la famille. La famille de Luc a finalement mandaté le CRARR pour porter la plainte devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse pour discrimination fondée sur la race et l'origine ethnique.

LA COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE

La Commission a été établie par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Le mandat de la Commission est d'enquêter sans être tenue d'entendre les deux parties lorsqu'il semble y avoir un cas de discrimination. Si la Commission découvre une preuve de discrimination, elle peut référer le dossier au Tribunal des droits de la personne. Le Tribunal est une instance spécialisée de la Cour du Québec qui a été créée pour permettre un meilleur accès à  la justice pour les victimes de violations des droits de la personne. La Commission agit essentiellement comme un « filtre » qui s'assure que seules les plaintes valides sont référées au Tribunal.

Dans ce dossier, la Commission a décidé en 2008 de maintenir la plainte en partie seulement. La Commission a déclaré qu'il n'y avait pas suffisamment de preuve pour soutenir une plainte eu égard au premier incident, lorsque Luc a été puni pour avoir mangé avec une fourchette et une cuillère, ni pour le comportement du directeur envers Mme Gallardo à  ce sujet.

La Commission s'est plutôt prononcé à  l'effet que le deuxième incident, lorsque l'éducatrice a demandé si « dans [son] pays, les gens se lavaient les mains avant de manger ? », pouvait seul être référé au Tribunal. Cette décision a eu pour effet de restreindre la plainte de la famille Gallardo en considérant les incidents de manière isolée. La Commission laissa à  Mme Gallardo la décision de porter ou non la plainte devant le Tribunal, à  ses frais. Malgré l'interprétation restrictive de la Commission, la famille Gallardo porta la plainte dans son intégralité devant le Tribunal des droits de la personne.

En examinant le rapport d'enquête, le CRARR a découvert de nombreuses lacunes avec l'enquête de la Commission: alors que celle-ci a interrogé plusieurs représentants de la Commission scolaire, incluant le directeur et l'éducatrice, elle n'a jamais rencontré Luc ou sa famille, ni le journaliste qui a rapporté les commentaires discriminatoires du directeur, et ce, malgré les demandes répétées du CRARR (et cette méthode d'enquête a été identifiée comme une pratique habituelle de la Commission, qui entraîne souvent le rejet de la plainte). De plus, la preuve contre Luc a été soumise durant l'enquête par la Commission scolaire à  la Commission des droits, mais cette dernière ne l'a pas fait parvenir au CRARR pour lui permettre de l'examiner et de la commenter, contrairement à  la pratique d'enquête habituelle.

LE TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

En avril 2010, après deux journées d'audition, le Tribunal a conclut qu'il y avait eu discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. Le Tribunal a pris en considération le dossier au complet, incluant le premier incident où l'enfant a été puni, l'indifférence qu'a subie la mère, et l'attitude du directeur et de l'éducatrice envers la famille et la plainte.

Le Tribunal a déclaré qu'il ne pouvait limiter son examen seulement à  la preuve que la Commission avait retenue et ignorer celle qu'elle avait rejetée, non seulement pour des raisons de connexité logique entre ces éléments de preuve, mais aussi parce que le Tribunal a le pouvoir d'examiner le dossier dans son ensemble, surtout lorsque la Commission n'a pas enquêté sur certaines portions de la plainte.

Le Tribunal a considéré ces faits particulièrement troublants, puisque la même Commission scolaire avait déjà  fait l'objet d'une plainte devant le Tribunal pour un autre cas de discrimination. La famille Gallardo a obtenu 17,000 $ en réparation, montant qui doit être versé par la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, le directeur et l'ancienne éducatrice de l'enfant.

LA COUR D'APPEL

La Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys a fait appel de la décision du Tribunal devant la Cour d'appel du Québec, sur une question de procédure. Elle prétend que la Commission des droits n'a autorisé que le deuxième incident à  être porté devant le Tribunal (soit le fait que l'éducatrice a demandé si « dans [son] pays, les gens se lavaient les mains avant de manger ? »), et qu'en conséquence, le Tribunal ne pouvait qu'examiner cet incident seulement. En accordant des dommages, le Tribunal a pris en considération tout le contexte entourant l'incident. Selon la Commission scolaire, il s'agit d'une erreur: elle prétend que le Tribunal n'avait pas le pouvoir de se prononcer sur la preuve que la Commission avait rejetée.

En réponse aux prétentions de la Commission scolaire, Mme Gallardo, avec l'appui du CRARR, soutient que le cas soulève deux problèmes majeurs concernant l'accès à  la justice au Québec.
En premier lieu, la Commission des droits a fait défaut d'enquêter de manière équitable et exhaustive sur ce cas de discrimination. Pendant son enquête, la Commission a seulement entendu les témoins de la Commission scolaire, et en aucun temps Luc, sa mère, son père ou le journaliste. Par conséquent, l'enquête n'a porté que sur la seule version des défendeurs et n'a pas réussi à  établir si Luc avait subi de la discrimination.

En raison de cette enquête inadéquate, la Commission a restreint de manière excessive les incidents qui pouvaient être référés au Tribunal. L'approche restrictive de la Commission touchant la plainte de la famille n'est pas apparemment un incident isolé.

En second lieu, la Commission ne devrait pas être autorisée à  scinder une plainte en différentes sous-plaintes. Si la Commission ne permet qu'à  une portion de la preuve d'être soumise au Tribunal, le Tribunal ne peut avoir une compréhension complète des faits de chaque cas. Plus spécialement dans les cas de discrimination, le contexte entourant les événements spécifiques et la connexité logique entre ces événements, sont primordiaux. L'origine de la discrimination, les attitudes des personnes impliquées, et toutes preuves que le Tribunal considère pertinentes devraient être prises en compte. Le deuxième incident de discrimination que Luc a subi était directement relié, et découlait du premier incident, sinon d'autres. Le contexte en entier devait être pris en compte pour déterminer s'il y avait discrimination.

Troisièmement, il a été soumis comme argument à  la Cour d'appel que l'arbitre ultime d'une plainte de discrimination est le Tribunal des droits de la personne, et non la Commission. Le droit d'une victime d'avoir accès à  la justice comprend le droit de présenter son dossier au complet (malgré le rejet d'une part de la preuve par la Commission) et le droit que la preuve soit examinée avec soin. Ce faisant, le fait de ne pas permettre que cette preuve soit examinée par le Tribunal constituerait un déni de justice et de protection des droits fondamentaux.

IMPACT SUR LA PROTECTION DES DROITS

Si l'appel de la Commission scolaire est accueilli sur cette question procédurale, cette décision renforcera l'impact restrictif que possède la Commission des droits sur les cas de violation des droits fondamentaux au Québec. Si la Commission des droits est autorisée à  poursuivre des enquêtes biaisées et inadéquates en restreignant ainsi le nombre de plaintes qui sont soumises au Tribunal des droits de la personne, cela réduira considérablement la protection offerte aux victimes de discrimination et la compensation pour les violations de leurs droits fondamentaux.

Ce cas pourrait faire changer le droit au Québec. En 1997, la Cour d'appel a énoncé dans la décision Ménard c. Rivet que lorsque la Commission des droits rejette une plainte, les victimes ne peuvent plus accéder directement au Tribunal des droits (elles peuvent accéder aux autres tribunaux). Dans le cas présent, la Cour d'appel est saisie d'un cas où la plainte a été rejetée partiellement par la Commission. La question consiste donc à  déterminer si, dans un tel cas, une victime ne pourrait déposer qu'une plainte partielle appuyée par une preuve réduite, ou s'il lui serait au contraire possible de présenter toute sa plainte, avec toute la preuve pertinente devant le Tribunal afin de laisser ce dernier décider, sur la base de la preuve qui lui est soumise.

Le cas Gallardo aura sans aucun doute un impact considérable sur la protection des droits de la personne pour tous au Québec et fera progresser la discussion sur les compétences de la Commission des droits d'enquêter sur les plaintes de discrimination et la question de l'accès à  la justice pour les victimes au Canada.