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COUPABLE D'INFRACTION AU CODE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE MALGRÉ LA PREUVE DE PROFILAGE RACIAL, UN CONDUCTEUR NOIR IRA EN APPEL


Montréal, le 20 octobre 2010 - Un conducteur noir portera en appel la décision de la Cour municipale de Longueuil qui l'a trouvé coupable d'une infraction pénale en vertu du Code de la sécurité routière malgré la preuve explicite de préjugé racial dans le rapport policier.

M. Joël Debellefeuille, gestionnaire d'entreprise et résident de Saint-Constant, est interpellé en juillet 2009 par un policier de Longueuil lorsqu'il conduit sa famille à bord d'une voiture de marque BMW. Une fois son véhicule stationné, M. Debellefeuille sort de son BMW et se fait dire par le policier, « Hey, guy, is this your car ? ». Constatant ces propos peu professionnels, M. Debellefeuille lui dit que son nom n'est pas « guy », que son épouse et ses enfants sont dans la voiture ; et que le policier aurait pu vérifier son nom avec son matricule. Après que le policier ait dit qu'il l'avait fait, M. Debellefeuille lui répond qu'il s'agit effectivement de sa voiture et qu'il peut être Noir et conduire un BMW.

La situation dégénère après cet échange et finalement M. Debellefeuille reçoit deux billets de contravention au Code de la sécurité routière, pour entrave (défaut de fournir les pièces d'identification) et pour défaut d'avoir des papiers d'assurance à  jour.

En juin 2010, lorsqu'il conteste l'un des deux billets à  la Cour municipale de Longueuil, il prend connaissance pour la première fois du rapport d'infraction présenté à  la Cour et dans lequel le motif discriminatoire est écrit noir sur blanc, car le policier note : « le véhicule appartenait à  un certain Debellefeuille Joël, il s'agissait d'un homme de race noire (sic) qui ne correspondait pas à  première vue au propriétaire. Debellefeuille sonne comme un nom de famille québécois et non d'une autre origine ». Durant le procès, à  plusieurs reprises, M. Debellefeuille soulève le fait qu'il a été victime de profilage racial lors de l'interpellation ; en outre, le policier en question, lui-même d'origine arabe, affirme que la raison « première » de son interpellation est la race de M. Debellefeuille et qu'il intercepterait un Asiatique avec un nom de famille québécois.

Le 29 septembre 2010, le juge Marc Gravel rend son jugement en le déclarant coupable de l'infraction. Tout en écartant la défense de profilage racial soulevée par M. Debellefeuille (dont la violation de ses droits constitutionnels à  l'égalité), le juge précise que le fait d'être intercepté à  quelques reprises avec le même motif « ne confère pas à  M. Debellefeuille, dans ce cas, une immunité d'application des articles du Code de la sécurité routière ». En outre, la Cour considère que les allégations de violation discriminatoire des dispositions du Code de déontologie des policiers (que M. Debellefeuille a soulevées) ne peuvent être prises en considération étant donné que la Cour municipale n'a pas compétence sur ce règlement.

Finalement, la Cour cite un autre jugement de la Cour municipale de Laval, dans lequel le juge réfère à  la définition du profilage racial du Service de police de la Ville de Montréal et au jugement R. v. Brown, de la Cour d'appel de l'Ontario en 2003, lequel est considéré comme une référence étant donné son importance en matière de profilage racial. Cependant, le juge n'élabore pas davantage et écarte cet argument strictement sur la base du fait que « la Cour municipale ne doit pas s'immiscer dans les affaires de déontologie policière ».

Selon M. Debellefeuille, la Cour a erré dans l'interprétation du concept de profilage racial : « À plusieurs reprises, j'ai invoqué devant le juge, le mot « profilage racial », ma femme également. Dans le rapport du policier concerné, le motif racial est écrit noir sur blanc. Si ceci ne suffit pas, je ne sais pas comment les victimes de profilage racial au Québec peuvent avoir accès à  la justice et à  la protection de leurs droits constitutionnels », dit M. Debellefeuille.

« Il est donc de mon devoir de citoyen et de victime de racisme de porter cette décision en appel, car c'est effectivement un mauvais précédent en la matière », ajoute-t-il.

Pour Me Aymar Missakila, avocat au CRARR qui représente M. Debellefeuille, la nécessité d'aller en appel s'impose dans la mesure où la preuve de préjugé racial de la part du policier est inscrite dans le rapport d'infraction. « Nous considérons que le juge a fait erreur de ne pas tenir compte des éléments de preuve tant directs que circonstanciels du profilage racial dans ce cas. Au contraire, il aurait dû tenir compte du fléau social que constitue la discrimination raciale, incluant le profilage racial, comme étant de connaissance judiciaire, tel qu'indiqué par la jurisprudence », dit-il.

« En outre, l'arrêt Brown cité par le Juge, l'autorité judiciaire canadienne ultime sur le profilage racial, est interprété de manière erronée et incomplète, car en vertu de Brown, le tribunal aurait dû acquitter M. Debellefeuille », conclut Me Missakila.

Quant au directeur général du CRARR, M. Fo Niemi, ce cas illustre la nécessité d'assurer une meilleure formation aux juges sur la question de la discrimination raciale.

« Ce cas démontre également le risque élevé pour les citoyens qui sont victimes de profilage racial, mais qui se représentent à  la Cour municipale, sans assistance ou représentation juridique, de se retrouver coupable en raison d'une interprétation erronée ou d'insensibilité judiciaire sur la discrimination raciale », dit-il.

Soulignons qu'en janvier dernier, le Comité de déontologie policière a rendu une décision dans un cas d'un jeune homme biracial assisté par le CRARR et impliquant une dynamique semblable (Commissaire à  la déontologie policière c. Nancy Pelletier). Dans cette affaire concernant l'interpellation de M. David Lévêque dans le centre-ville, le tribunal
« ne doute aucunement de sa bonne foi ... (de) conclure à  une faible probabilité qu'un homme de race noire porte ce nom ») et conclut que l'interception n'a pas été faite en raison de la race de M. Lévêque. La décision a été portée en appel devant la Cour du Québec suite à  la demande du CRARR.